Habiter le temps, voie d’incarnation ?
Il y a 23 ans, mon cheminement de découverte de la foi s’est accompagné d’une double démarche spirituelle et thérapeutique.
La démarche thérapeutique basée sur la méthode Vittoz une approche psychocorporelle qui développe l’attention dans l’instant présent, la redécouverte de nos cinq sens et la conscience de nos actes dans l’ici et maintenant.
La démarche spirituelle d’abord en cheminant avec un prêtre, un maître de simplicité et d’intelligence humaine, puis à travers principalement l’approche ignatienne (« chercher et trouver Dieu en toutes choses »).
Alors, me voici en train d’écrire un texte sur comment habiter le temps, comme si je pouvais me prétendre un expert du sujet. Que nenni ! Par compte je peux témoigner de mon expérience. Mon premier crédo serait que pour habiter le temps, il est indispensable d’habiter l’espace, et pour habiter l’espace, il faut savoir habiter son corps et ses 5 sens à chaque instant, portes d’accès pour nous ouvrir aux autres, au monde et au Dieu Créateur.
Selon la grande découverte du docteur Vittoz (contemporain de Freud), notre cerveau ne peut pas être dans le même temps dans la pensée et dans la sensation. Chaque fois que nous arrivons à être reliés à nos sens (voir, entendre, toucher, sentir, goûter) et nos sensations corporelles dans l’instant présent, la pensée se calme. Être dans son corps, être dans ses sensations, être en réceptivité, c’est mettre le mental au repos. Car si je laisse trop de place au mental, celui-ci peut s’enfermer dans un vagabondage incessant, sans cesse oscillant entre les ruminations en lien avec le passé ou au contraire dans des projections souvent anxieuses sur un avenir par nature incertain. Et mettre le mental au repos, c’est s’apaiser et créer de l’espace intérieur, une disponibilité … pour accueillir l’Esprit. « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit ? » Paul 6,19
De son côté, Saint Ignace nous dit, tout au début de ses Exercices Spirituels : « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement ». Sentir ou goûter, cela nous ramène à nos sens, à notre corps… et ce sont à la fois des attitudes spirituelles et humaines.
Au niveau physique, on peut sentir une odeur et ne pas y prêter attention, ne pas s’y arrêter. Mais on peut aussi prendre le temps de laisser cette odeur entrer en nous par nos narines, nous envahir, nous évoquer un souvenir, un lieu, une personne… C’est pareil avec une saveur, on peut la goûter rapidement sans s’y attarder. Mais on peut aussi prendre le temps de la laisser déployer tous ses parfums. « Les choses » dont Ignace parle, c’est tout ce qui fait notre prière, la Parole de Dieu avec laquelle nous prions, tel ou tel événement de notre vie ou de notre journée que nous relisons, un texte que nous méditons… Peu importe la matière, ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité de notre présence aux choses. C’est bien connu, « il en faut peu pour être heureux».
Développer l’état de présence à la Présence suppose de prendre son temps, de ralentir et de durer un peu, de demeurer. Les choses les plus importantes de nos vies nécessitent du temps. Regardez la nature : il faut un moment pour qu’une petite graine semée germe, pousse et devienne une fleur, un arbre ou un fruit… Et à l’échelle de la vie humaine, il faut du temps pour qu’un enfant grandisse, apprenne à marcher, puis à lire et à écrire. Il faut encore du temps pour qu’il devienne vraiment autonome et adulte. Mais tout ce temps n’est pas perdu. Il est infiniment précieux et c’est ainsi que se construit peu à peu ce qui est solide. Dans notre vie spirituelle aussi, il faut donner du temps à Dieu pour travailler en nous, nous éclairer, nous enseigner, nous transformer. Pour que nous nous familiarisions avec Sa voix, Sa pédagogie. Ce temps est gage de profondeur et de croissance. Il est plus profitable de s’arrêter et demeurer un moment là où Dieu nous travaille, nous parle personnellement, plutôt que d’aller forcément jusqu’au bout d’un texte, par exemple.
Le développement de l’état de présence développe une approche moins jugeante, moins exigeante, plus bienveillante, plus simple et plus souple, avec soi, les autres et avec Dieu. En développant cet état de présence pendant mes temps de prière personnels ou pendant la messe communautaire, cela me permet d’apprendre à mieux me poser et de mettre dans un état d’accueil où le temps de prière peut aider à se mettre en capacité d’écoute (« Écoute Israël) plutôt que des temps où je vais abreuver Dieu de tout ce qui me passe par la tête (récriminations, peurs, angoisses, …), même si bien sûr il est aussi important et possible de tout dire à Dieu en toute simplicité, comme un enfant à Son Père.
Or, avouons-le, nous sommes souvent pressés ou soucieux de trop bien faire. Essayons d’en faire moins, mais de vivre nos temps de prière plus «intérieurement ». Alors nous verrons que nous avons gagné quelque chose. S’exercer à prier à partir de notre corps, relié à son cœur, en habitant le temps présent, la prière peut transformer l’ensemble de notre vie et nous éveiller à un sentir intérieur et une écoute intérieure, qui peuvent nous aider, peu à peu, à « chercher et trouver Dieu en toutes choses ».
Cette double démarche spirituelle et thérapeutique m’a fait découvrir que notre cheminement sur terre est un chemin d’incarnation, pour devenir des hommes et des femmes debout, animer par le souffle de la Vie, le souffle du Dieu Créateur qui rejoint la petite voie de Sainte-Thérèse. Les êtres les plus spirituels sont paradoxalement des êtres très incarnés, qui sont allés au bout de leur incarnation pour s’ouvrir à des dimensions hautement spirituelles.
Alors habiter le temps, c’est apprendre à être pleinement présent dans l’instant présent, lieu de la rencontre avec Dieu et les autres et soi-même. Nous sommes des êtres en devenir, en chemin. Dans ma recherche spirituelle où je me suis préalablement intéressé à d’autres spiritualités, c’est le côté révolutionnaire de l’incarnation de Dieu dans la personne d’un homme, Jésus, qui m’a toujours émerveillé et touché au plus profond mes entrailles, actualisé à travers la lecture des Évangiles. Ce Dieu incarné est sans doute aussi le point d’achoppement majeur pour des personnes loin de la foi chrétienne, qui se rend accessible à travers une recherche et une rencontre personnelle, loin de tout concept ou de tout dogme.
Alors, oui à l’Incarnation, oui à la bienveillance et à l’amour inconditionnels de Dieu pour chacune de ses créatures qui n’a d’autre joie à nous aider et à nous aimer, et de sentir en retour l’amour et la bienveillance que nous savons déployer pour nous-mêmes, les autres et la Mère Nature, dans une qualité d’attention et de présence à chaque instant.
Le temps est un cadeau, c’est pourquoi nous l’appelons le temps présent.
Alors, à chacun(e) de jouer ! Ouvrez vos sens à l’action de Jésus Christ, offrez Lui tout ce qui fait votre humanité pour Le laisser y entrer et transformer ce qui en a besoin. Alors c’est toute ta vie qui rendra témoignage au Dieu fait homme, pour que l’homme/ la femme se fasse Dieu !
Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère.
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit.
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre,
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !…
Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre ?
Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !…
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd’hui…
Près de ton Cœur divin, j’oublie tout ce qui passe,
Je ne redoute plus les craintes de la nuit.
Ah ! Donne-moi, Jésus, dans ce Cœur une place
Rien que pour aujourd’hui.
Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus
Et toi, qu’est-ce que ça te fait de penser que Jésus a vraiment partagé notre condition humaine, que Dieu a pris corps, qu’Il a exercé ses sens ?
As-tu déjà prié avec tes sens ?
Est-ce que tu te reconnais dans cette ressemblance avec Jésus, capable de s’arrêter au milieu de journées bien remplies, d’être pleinement présent aux personnes et aux événements, de savourer les rencontres, de sentir ce qui habite les cœurs… ?
Quel(s) fruit(s) retires-tu de tes temps de prière où tu ralentis, pour laisser faire le Dieu vivant en Sa Parole ? Quelle(s) gratitude(s) portes-tu aujourd’hui dans ton cœur pour un frère/une sœur ?pour Dieu ?
Bonne méditation à chacun(e).
Patrick, pour la route d’approfondissement de la foi.
Merci Patrick et Ste Thérèse,
ces lignes confortent ma confiance,
au-delà de nos doutes,
qu’avons-nous à redouter?
CG