L’intranquillité ou vivre la grâce de savoir être dérangé
Quand Geneviève m’a demandé d’écrire une méditation sur ce thème je me suis dit que ce livre de Marion Muller-Colard, théologienne protestante, avait été déjà dévoilé ici et là [2]. Mais voilà il y a quelques semaines j’ai bénéficié de « circonstances exceptionnelles » qui m’ont fait assister à une conférence sur homo sapiens et quelques jours plus tard visionner un court film sur la Genèse. Quel rapport avec l’intranquillité me direz-vous ou quel rapport tout court d’ailleurs et bien c’est le risque de cette méditation, suivez-moi !
Sapiens, le vainqueur rafle tout
Me voici donc un soir de Janvier en train d’assister à une conférence s’intitulant « Sapiens 2.0 | Retracer notre passé, construire notre futur » tout un programme. Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue, nous retrace en quelques minutes les différentes évolutions des espèces qui ont mené jusqu’à la nôtre : l’homo sapiens. Il faut avouer qu’au collège je n’y avais jamais été très attentif, je bus donc ses paroles avec la naïveté d’un enfant.
(L’origine d’Homo sapiens. Jean-Jacques Hublin et Abdelouahed Ben-Ncer)
Pendant près de 8 millions d’années cohabitent sur terre plusieurs espèces entre le singe et l’homme, des hominidés : Australopithèque, Homo erectus, Neandertal, … l’évolution fait son lent chemin. Si on songe à Notre Dame de Paris qui n’a pas encore mille ans, ces millions d’années nous transportent dans l’infiniment long … Sapiens lui apparait il n’y a que 300 000 ans et en très peu de temps il va supplanter tous les autres, il ne restera plus que lui, nous quoi. Quand je dis supplanter je parle d’une espèce invasive : ces 10 000 dernières années Sapiens est passé de 0,1% de la masse des espèces présentes sur terre à … 95% aujourd’hui.
Le vainqueur rafle tout.
Il parle !
Mais qu’est ce qui a permis à Sapiens de s’imposer de la sorte ? Il faudrait des heures mais en très résumé Sapiens était capable de transpirer et donc de courir longtemps à la chasse pour épuiser ses proies. Avec la domestication du feu il a appris à manger cuit ce qui lui a donné plus d’énergie, son cerveau s’est développé, il a externalisé des fonctions grâce aux outils. Mais il y a eu un moment décisif à partir duquel la taille de son cervelet a « explosé » : il s’est mis à parler. L’apparition du langage lui a permis de partager, d’échanger des croyances, des mythes, de faire société, de créer des réseaux de solidarité tels qu’il n’est plus nécessaire de se voir pour partager le même but et avancer. C‘était il y a probablement il y a 50 ou 100 000 ans, peu importe.
Et le verbe s’est fait chair
Quelques semaines plus tard à la maison nous accueillons notre groupe de lecture. Nous lisons ensemble depuis plus de quinze ans et ce soir-là nous faisons une pause en regardant les dessins animés de « la Bible | Les récits fondateurs » proposé par Bayard dans une magnifique collection. Il faut quelques minutes à André Dussolier pour nous compter la Genèse : « Comment tout a commencé nous ne le saurons jamais. Mais nous avons la parole. Et c’est avec elle que tout commence. Quand tout est noir quelqu’un parle la lumière se fait … ».
La création ou les premières paroles (EP. 1) [1]
L’arbre du désir et de l’aventure
Un peu plus loin Adam et Eve sont dans le jardin du paradis, ils sont ensemble, heureux comme des poules dans leur enclos. La vie devait s’écouler tranquillement. « Mais au milieu de ce grand jardin il y avait un arbre pas comme les autres : l’arbre de l’expérience du bon et du mauvais. … C’était des fruits merveilleux qui faisaient envie à la femme et à l’homme. Mais il est dit : tu ne mangeras pas des fruits de cet arbre ou tu en mourras. C’était l’arbre du désir et de l’aventure. L’arbre de toutes les énigmes : la naissance et la mort, grandir et vieillir, travailler, faire des enfants … L’arbre de tous les rêves : devenir beau et fort, voyager très loin, réussir, être aimé … L’arbre de toutes les tentations : le plaisir, l’amour, le jeu, l’aventure, les richesses … Mais aussi l’arbre de toutes les détresses : la mort, la pauvreté, la fatigue, les guerres, l’exil … »
Le jardin ou pourquoi quitter le paradis (EP. 2) [1]
J’ai adoré cette idée d’ « arbre du désir et de l’aventure » loin de la description habituelle de cette femme qui mange le fruit défendu. Comme si un jour, en partageant un fruit, Eve et Adam avaient fait le choix de l’intranquillité, de sortir de leur petite vie douillette au paradis pour se frotter au monde ! Et André Dussollier de continuer avec les fruits de ce grand saut dans l’inconnu : Caïn et Abel ou la jalousie meurtrière, Babel ou le récit d’une folie totalitaire, Abraham ou l’appel à l’arrachement, … pas simple.
Et puis vient un Homme
Non rien n’est donc simple et ce depuis le début, l’ancien testament est rempli de ces récits d’hommes et de femmes en lutte pour s’ajuster à coup de bataille, de trahison, de réconciliation, de renaissance, … souvent il ne reste presque rien mais la vie reprend pied.
L’an dernier à Jérusalem nous interrogions un frère Jésuite sur la situation inextricable de cette ville emmurée. Sa réponse pleine d’espoir, de foi m’a beaucoup touché. Originaire d’Afrique du sud il nous a rappelé qu’au plus profond de la crise de l’apartheid un homme, Nelson Mandela, avait réussi à tout renverser du fin fond de sa prison en … parlant. Et lui de prier pour que quelqu’un vienne et pose des paroles de paix pour Israël.
L’Esprit souffle
Désolé si je vous ai un peu perdu mais cette séquence de Sapiens à la Genèse m’a interpelé. Nous sommes tous confinés à la merci d’un coronavirus, à l’échelle de Sapiens c’est une anecdote coquasse. Ce temps suspendu nous rappellera que depuis Sapiens nous sommes les fruits du langage qui nous permet de faire société tant bien que mal puisque nous avons décidé de nous frotter à la vie.
A quelques jours de la pentecôte je te remercie mon Dieu de nous avoir envoyé ton fils Jésus qui nous a laissé l’Esprit Saint et sa Parole pour nous guider, un peu, mais en nous laissant intranquille, à la manœuvre. « Ce qui me permet de suivre aujourd’hui Jésus comme un maître, c’est précisément qu’il ne promet pas l’évitement du risque. C’est ce crédit qu’il accorde au réel, sa plongée inconditionnelle dans la complexité du monde et de l’âme humaine, sans tenter de nous y soustraire, de la résoudre ou de la contourner » [2].
Comme St François je contemple la création et ce miracle de la vie animale, végétale, née de l’évolution des espèces sur des millions d’années qui m’est prêtée pour un temps, mon temps.
Comment je profite de ce confinement pour ajuster la manière dont je participe à la société ? En préservant le lien et les solidarités avec les autres ? En posant les paroles et les gestes qui apaisent ? En agissant pour préserver la planète ?
Laurent – route prière
[1] La bible – Les récits fondateurs (livre + DVD) ; Serge Bloch, Frédéric Boyer, Bayard ; 2016
[2] L’intranquillité ; Marion Muller-Colard ; Bayard ; 2016