Funérailles de Kevin Gaillard – 1 septembre 2018

Dans Homélies

« Kévin m’a sauvé la vie. » On ne m’a jamais rien dit de semblable à propos de quelqu’un d’autre ; mais de toi, ce sont deux personnes différentes qui ont un jour ou l’autre éprouvé le besoin de m’en faire la confidence, dans ces termes : « Kévin m’a sauvé la vie. » Il y a aussi ceux qui ne me l’ont pas dit, que je ne connais pas, mais qui se le répètent aussi, avec reconnaissance. Il y a enfin tous ceux – et nous sommes si nombreux, rassemblés ici ou présents par la pensée et la prière, ta femme, tes parents, tes frères, tes amis –, tous ceux qui savent bien ce que tu leur as donné de joie, d’énergie, de bienveillance ; qui se souviennent que tu as été pour eux, pour nous, un extraordinaire témoin de l’amour de Dieu, de cette foi reçue de ta famille où tu as grandi entouré de beaucoup d’amour, où tu as appris à devenir un infatigable transmetteur d’espérance et de confiance.

Ce témoignage, Kévin, c’était ta mission. Toi qui as toujours pris pour toi cette page d’évangile où Jésus envoie ses disciples en mission, toi qui l’as méditée avec enthousiasme mais aussi patience, tu as cherché comment être vraiment fidèle à cette mission, et cette recherche a eu ses questions et ses doutes, ses peines et ses moments de découragement, mais je ne crois pas que tu aies jamais douté de la mission elle-même.

Tu savais qu’annoncer le Royaume de Dieu, ce n’était pas une question d’argumentaire ou de baratin. Oh bien sûr, quand il s’agissait de présenter Alive à un nouveau venu, tu pouvais avoir un discours bien rodé, mais tu savais qu’il n’y avait qu’une chose à faire : vivre la rencontre, vivre l’amitié. Tu y mettais tout de toi-même, tu te jetais tout entier dans la balance : pas seulement ton charme ou ta bienveillance naturelle, pas seulement même ta joie et ton espérance, ton amitié solide avec le Christ, mais aussi tes questions, mais aussi tes peurs et tes failles, tout. Le Royaume de Dieu n’était pas pour toi un concept vague ou pieux, mais une réalité si grande, si brûlante, qu’il fallait tout ton être pour la dire. Cette vie, tu as choisi de la donner, de la lier inséparablement à la vie de Camille il y a maintenant presque un an ; et tu l’as fait comme tu faisais tout ce qui compte, en t’y donnant entièrement, en ne gardant rien pour toi, d’un don si complet que la mort elle-même ne peut y mettre fin. Et si tous, nous avons été un jour ou l’autre éblouis de te rencontrer, ce n’est pas parce que nous avions vu un saint ou entendu des paroles merveilleuses, mais parce qu’enfin, nous avions rencontré quelqu’un. Et c’est ce qui nous a tous touchés, ceux qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas. Dans ce monde où tout le monde se cache, ou tout le monde a peur, où on s’affiche pour mieux dissimuler ce qu’on est, il est si rare de rencontrer quelqu’un, en vérité, en profondeur, simplement. Cette rencontre avec toi, que tu offrais si généreusement, c’est elle qui nous a dit à tous, de manière inoubliable souvent : « Le Règne de Dieu s’est approché de vous. »

Tu aimais nous aider à nous poser des questions importantes, parfois provoquantes et dérangeantes. Ta mort brutale nous oblige aujourd’hui à nous poser la question essentielle. Sommes-nous prêts à prendre au sérieux ce dont tu as parlé par toute ta vie ? Sommes-nous prêts, dans notre douleur même, à croire encore tout ce que ta vie nous a dit d’un Dieu d’amour ? Tout ce que tu nous as donné d’affection, de confiance, de joie, n’aura-t-il été qu’une brève illusion joyeuse dans une vie privée de sens, comme ces mondes imaginaires que tu aimais créer, ou une fenêtre ouverte sur l’éternité ? L’amour de Dieu est-il vraiment, comme tu en as sans cesse témoigné, plus fort que la mort ? Quelle vie, plus que la tienne, nous a donné à voir quel poids d’amour, quel poids d’éternité, peuvent avoir les gestes les plus simples ? La séparation d’aujourd’hui est un déchirement, mais tout ce que tu as été pour nous nous crie que cette séparation n’est pas définitive, que ta mort n’est pas la fin, que la vie éternelle qui avait pris racine dans ta vie se poursuit aujourd’hui, et que rien, pas même la mort, ne pourra te séparer de l’amour de Dieu, de l’amour qu’est Dieu.

Si je m’adresse directement à toi, Kévin, ce n’est pas pour essayer de faire semblant, puérilement, désespérément, que nos conversations d’autrefois pourront se poursuivre de la même façon, même si tous ici nous le voudrions de tout notre être.

Ce n’est pas non plus pour te demander le sens de la peine dans laquelle tu laisses tous ceux qui t’ont aimé. Ce n’est pas pour te poser des questions auxquelles tu ne répondras jamais, des questions qui ne servent à rien, comme : pourquoi fallait-il que ton immense amour de la vie passe aussi par ce goût du risque, qui t’arrache aujourd’hui à notre affection ?

Si je m’adresse directement à toi, Kévin, c’est parce que tous ici, nous avons besoin de toi, comme avant, peut-être plus qu’avant. Nous avons besoin de ton espérance et de ta joie, pour parvenir peu à peu, dans la douleur même de ton départ, à être reconnaissants de tout ce que tu nous as donné, de tout ce que tu as été pour nous au cours de ces années. D’auprès de Dieu, où nous croyons que tu es à présent, continue à nous partager ton énergie et ton espérance ; continue à nous redire le secret de ta joie : « Le Règne de Dieu s’est approché de vous. »

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